LAUTRéDOU ?
Son nom vous est sûrement inconnu. Mais, après avoir découvert son travail, vous allez devenir amoureux de ces abstractions où les signes et traces n’ont rien de vraiment innocent. Nous, on a adoré. Une rencontre splendide pour le bonheur de nos lecteurs.
Gérard Gamand
Quand Guiseppina, belle jeune femme brune, calabraise aux yeux de braise et au sourire éclatant, a rencontré Jean-Yves LAUTRéDOU, elle n’avait qu’à peine 18 ans. Lui, aventurier, montagnard, « rabochon » (trés mauvais caractère, en savoyard, Ndlr), solitaire, brûlé d’une passion fiévreuse pour la peinture, la glisse et les sommets mythiques se laissa capturer. Ce fut le coup de foudre ! Cela fait maintenant plus de vingt ans que ces deux là sont complices. Ils vivent en osmose. Elle veille sur son homme », comme elle dit en parlant de lui. Elle lui organise un quotidien acceptable. Lui, plongé jusqu’à la déraison dans l’exaltation de la peinture ne voit pas passer, les heures, les jours, les nuits, les annonces.
Magnifique Guiseppina, courageuse, obstinée, têtue, jalouse, que l’on verrait bien dans un film italien des années cinquante. Elle chanterait, ferait sécher son linge à la fenêtre, interpellerait sa sœur d’une fenêtre à l’autre, bref ! Le bouillonnement de la vie simple, sensuelle et gourmande. Celle que l’on aime passionnément, comme vous le savez aujourd’hui, nos recherches nous ont conduits jusqu’à Annecy Nous venions de découvrir un peintre, totalement inconnu, qui nous a ravis. Il est exactement ce que nous attendons de la peinture : de l’émotion, de l’humain, du plaisir, de l’authenticité et du talent. Nous allons aider Lautrédou à émerger auprès du public, parce qu’il nous est intolérable d’assister à un tel gâchis. Franchement, comment accepter que ces artistes soient dans de si grandes difficultés ? Ballottés entre de pseudos galeries arrogantes et aveugles, qui veulent faire payer le peintre pour accepter de l’exposer ! Des magazines d’art qui n’ouvrent leurs colonnes que contre monnaies sonnantes et trébuchantes pour des pseudo-rédactionnels de complaisance, et encore à condition de fournir son texte et ses images ! (Si, si, cela existe parait-il ! Ndlr).
Des aigrefins de tous poils qul promettent tout et ne tiennent rien ! Comment résister dans ce qui devient vite une galère financière ? Comment continuer à peindre envers et contre tout ? Une seule réponse : il faut une Guiseppina à ses côtés ! Hélas, pourtant ce n’est pas suffisant. Mais commençons par découvrir notre homme en son repaire. Une passion fiévreuse et exclusive.
« J’aime beaucoup la philosophie bouddhiste. J’ai l’impression que l’on peut construire sa vie avec des valeurs et des principes… sans emmerder les autres. » Nous confie ce solitaire. (Dans cette superbe rencontre, qui durera toute une journée intense, il reviendra souvent sur cette idée de ne pas « emmerder » les autres. Il avance obstinément dans une direction : la voie de la peinture. Il en est tellement gourmand que quelque fois, il ne sait pas arrêter une toile. Alors, il détruit et recommence. Il descend tous les jours dans sa « cave », son repaire, pour s’immerger dans un travail bouillonnant. « Il n’y a jamais d’angoisse en descendant l’escalier. Ce n’est que du plaisir. Une joie inouïe face à la toile. Je laisse aller mon bras, il va tout seul, il invente, il bouge. ll y a une sorte de deuxième personnage en moi qui peint. Il m’échappe et fait remonter à la surface un inconscient que je ne connais pas. C’est extrêmement curieux et pour tout dire complètement schizophrénique ! » Quand Jean-Yves parle, quand il est en confiance, plus rien ne l’arrête. Un flot qui saute par dessus tous les barrages. Sa passion fait sortir les mots avec une impétuosité juvénile. Les idées se bousculent,quelque fois même,elles se perdent un peu en route. « J’ai découvert récemment le concept de « l’image eidétique », cette représentation imaginaire d’une incroyable netteté. C’est par exemple, quand on regarde un nuage, d’y voir nettement un visage ou un cheval etc. Cela correspond exactement à ma peinture. Mes images hallucinatoires sont toujours terribles. Il n’y a que des têtes de morts, des souffrances, des visages grimaçants. Ce sont eux qui animent mes impulsions picturales… Heureusement, je suis le seul à voir cela dans ma peinture. Je vois en peignant, mais je peins en aveugle ! » Pourquoi ne pas avoir choisi la voie d’un Expressionnisme figuratif pour tenter de représenter ce monde inconscient, comme le font des artistes comme Arickx, Rustln ou d’autres ? La réponse de Jean-Yves est immédiate : « la douleur est partout sur la terre. Je ne crois pas que le peintre soit là pour remuer le couteau dans la plaie. Il faut que la peinture reste ce petit carré de bonheur, de découverte, d’invitation au voyage. Je n’ai pas du tout envie d’embêter les gens… » (tiens, tiens Ndlr).
Il y a un curieux mélange chez LAUTRéDOU d’amour de l’autre et de détestation du genre humain. D’optimisme du quotidien et de sourde angoisse métaphysique. Il passe de l’un à l’autre quasi instantanément. « La toile que nous créons, devient un choc ou une révélation pour toute personne ne portant pas les œillères de l’Histoire de l’Art ». Volontiers utopiste, rêveur impénitent, non violent et un brin libertaire, il promène son crâne rasé de moine bouddhiste et sa maigre carcasse, de long en large sur les chemins picturaux. Il est volubile. Trop peut-être. Il part dans toutes les directions, au risque de dérouter le public. « C’est mon problème. J’aime tout. Je suis tellement gourmand que je ne peux pas m’empêcher de rajouter un ingrédient de plus. Au risque souvent de perdre ma toile. Une goutte de peinture en plus et elle est bonne à jeter. Quelquefois je ne sais pas m’arrêter à temps ».
Pourtant nous avons vu des toiles admirables. Ce sont toutes celles, entre autres, de sa série des « Traits d’union ». Nous aimons ces traces qui nous semblent venir de loin. Du tréfonds de l’humanité en quelque sorte. Le travail de la matière est absolument admirable. C’est de la belle peinture. Mais à quoi sert-elle si personne ne la connaît ? « J’ai longtemps pensé que c’était très vaniteux de vouloir montrer son travail. Ce n’est plus le cas actuellement. Le peintre a écrit quelques mots que nous trouvons très justes. « Je suis un préposé à l’imaginaire la toile étant le calice offert au public, il peut contenir un bon vin comme un excellent poison. En peignant à partir de nous-mêmes et de nos propres sentiments, la toile que nous créons, devient un choc ou une révélation pour toute personne ne portant pas les œillères de l’Histoire de l’Art. » Pendant ce temps, Guiseppina nous a préparé un superbe chili con carne que nous arroserons d’un généreux rouge savoyard. La vie est belle. Nos hôtes passionnants. La peinture est autour de nous muette et pourtant tellement parlante. On aimerait que ces moments durent. En découvrant les toiles que nous avons choisi de reproduire dans le magazine, ne trouvez-vous pas que ce peintre est magnifique ? Le critique d’art Edel Poire, qui connaît bien LAUTRéDOU a écrit : « LAUTRéDOU, sur le monde, il a un regard poétique. Il le traduit en trouvailles débordantes de tendresse goguenarde, ou à l’opposé, en traits forts, comme ceux d’un dessinateur en eaux profondes. En dépassant le stade de l’image, il atteint la limpidité, la fluidité, autant que l’engloutissement dans des abstractions fougueuses. A-t-il la « spontanéité absolue ? » comme on parle de l’oreille en musique. Allez savoir ? » Bien vu, non quand vous pensez que ce peintre rame, pour l’instant, dans les profondeurs de l’anonymat ! Drôle d’époque.